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Observer les chevaux : jeu ou agressivité ?


1. De l'importance de la définition précise.

En tant qu’enseignante de Lettres et passionnée par l’histoire de la langue, je suis persuadée que la compréhension d’une notion commence par la compréhension du sens du mot et de son étymologie.

A l’aune de ce travail définitoire, il est intéressant de souligner qu’observer est un exercice d’examination attentive dans lequel l’observateur doit s’appliquer, c’est-à-dire travailler avec sérieux. Par ailleurs, ce verbe fait le lien entre l’application et la soumission à une série de règles comme si l’exercice d’observation nécessitait de suivre une série de lois sans lesquelles l’observation serait caduque. C’est précisément ces règles qui nous intéressent : quels éléments dois-je prendre en considération pour observer correctement ?


Alors qu'observons-nous sur cette vidéo ?

Contexte général : ces sont deux frères de moins de 3 ans ayant grandi ensemble et vivant en troupeau avec leur père âgé de 23 ans.

On voit sur la vidéo deux poulains qui semblent jouer ensemble mais nous pouvons légitimement s’interroger sur la différence entre jeu et agressivité.

Pour cela, l’observation se portera sur des critères-clés marquant l’agressivité chez le cheval :

  1. Les oreilles

  2. La bouche et le nez

  3. La posture générale


1. Les oreilles
Stallion, Aghilasse, horse

Elles constituent un point essentiel dans la communication chez les chevaux.

Étant très mobiles, elles permettent au cavalier de relever plusieurs intentions chez le cheval. Entre congénères, elles ont un rôle multiple : recevoir les sons et envoyer des signaux visuels à l’égard des autres chevaux.

On les associe assez facilement à l’agressivité car n’a-t-on pas appris à se méfier d’un cheval qui « a les oreilles en arrière » ?

Cependant, ce critère seul ne relève pas toujours de l’agressivité. En effet, nous pouvons constater :

- que certains chevaux très concentrés dans une tâche inclinent les oreilles vers l’arrière ;

- que l’attention du cheval qui porte son attention sur un élément derrière lui tournent les oreilles vers l’arrière. Le meilleur exemple est le travail en zone 5 ou aux longues rênes ;

- le cheval peut exprimer une douleur en mettant les oreilles en arrière, parfois même très brièvement.

Nous ne savons pas encore l’étendue de cette posture et tous les sens du mouvement arrière des oreilles, la prudence est donc de mise.

Mais revenons à notre agressivité, dans la hiérarchie de dominance, il est nécessaire d’observer les autres parties du corps du cheval afin de confirmer l’intention de se montrer agressif.


Interprétation
Kaïs - Photo 1
Kairaan - Photo 2

Que ce soit chez l'un (Kaïs, celui qui pousse, photo 1) ou Kairaan (poulain poussé, photo 2), les oreilles ne sont pas plaquées. Kaïs garde les oreilles mobiles dont une est bien pointée vers l'objet de son attention : son frère. Kairaan semble prêter vaguement attention à son frère ce qui laisse supposer qu'il ne s'attend pas à se faire attaquer.




2. La bouche et le nez
Kairaan, mâle 3 ans et Aghilasse, mâle, 23 ans.

Elles viennent appuyer les oreilles couchées en cas d’agressivité. Ainsi le cheval exprimant l’intention de nuire à un congénère ne se contente pas d’une seule indication mais d’une communication multimodale : c’est souvent ce qui permet aux autres congénères de repérer graduellement les intentions d’attaque. On peut vulgariser en disant que le cheval n’attaque pas d’un seul coup mais « prévient » avant de le faire, si l’autre congénère est sourd ou plutôt aveugle à ces menaces, le cheval passe à l’attaque.

La bouche se pince, les naseaux s’étirent : cette mimique faciale est difficile à rater ! En effet, même un néophyte verrait là un signal d’alarme : attention, attaque imminente !


Interprétation


Nous ne voyons que très brièvement la bouche de Kairaan sur le début de la vidéo et elle semble légèrement tendue, ce qui peut supposer un brin d'agacement. Cependant, Kaïs commence par tendre le bout du nez vers son frère, bout du nez tendu peut signifier plusieurs choses mais il peut simplement montrer une intention d'attraper ce vers quoi le nez est tendu et bingo c'est bien le garrot de son frère qu'il essaie de mordre.

Bien que l'intention de morsure intervient assez tôt, Kairaan ne semble pas inquiet car justement les autres mimiques de Kaïs éloigne l'agressivité.


3. La posture générale

Rappelons que la dominance apparait en cas de ressources limitées (nourriture, jument, espace…). Ces signaux marquent la priorité d’accès aux denrées rares.

Il importe donc de prendre en compte la posture générale du cheval afin d’affiner notre interprétation de la situation. Dans ce cas, les oreilles seules en arrière ne suffisent pas pour dire que le cheval est énervé.


Pour distinguer donc le jeu de l’agressivité, observons :


les hochements de tête : sont-ils intempestifs ? l’un des deux chevaux maintiennent-ils la tête très haute ?

la position des oreilles : sont-elles tournées vers l’arrière ? Couchées et appuyées d’une mimique faciale (naseaux et bouche) ? Légèrement tombantes ? Pointées en avant ?

la menace : vient-elle toujours d’un seul congénère ? Se maintient-elle pendant une longue durée ?

le rôle offensif (agresseur) : vient-il toujours du même cheval ? Cet élément est, selon moi, l’un des plus importants car il trace une nette limite entre l’agressivité et le jeu : en effet, quand nous observons deux poulains en train de jouer, il est difficile de ne pas remarquer (le semblant) l’agressivité qui règne : souvent, le poursuivi n’hésite pas à lancer ses postérieurs bien haut vers la tête du poursuiveur, ce dernier couche parfois les oreilles, tend la tête pour mordre, mais une seconde plus tard une phénomène intéressant se produit : le poursuiveur devient poursuivi et le « jeu » continue !


Le jeu se manifeste alors souvent chez des jeunes individus, rarement chez des adultes, mais ça arrive. Son importance est à la fois sociale, motrice et cognitive. Pour garder un esprit ouvert, il me semble important de connaître, du moins brièvement, le contexte de la scène observée : on voit trop souvent des personnes, sûrement bien intentionnées, commenter ou critiquer en se fondant sur l’observation d’une seule image ou d’une séquence courte sur laquelle nous ne savons rien ; l’interprétation peut être juste si l’on a un œil très avisé (éthologue de formation, chercheur... ), elle peut aussi être très lacunaire, voire teintée de préjugés ou partiales…


Interprétation finale

En montrant son intention de mordre Kairaan au garrot, Kaïs laisse supposer un élan d'agressivité mais les autres mimiques n'appuient pas cette thèse et confirment l'intention de jouer avec son frère. Il ne s'agit pas ici de défendre une ressource ou de se l'approprier mais d'une interaction sociale sans enjeu. Ils jouent simplement !



Conclusion

L’observation est une des composantes de l’éthologie, elle relève donc d’un exercice scientifique rigoureux celui de prêter une attention particulière à une scène ou un phénomène, cela nécessite donc de faire taire ses préjugés et de regarder d’un œil neuf, impartial ce que l’on voudrait interpréter.

Enfin, pour que l’interprétation soit le plus juste possible, il importe de prendre en considération l’intégralité des éléments à observer : les mimiques, les détails mais aussi la scène générale et son contexte.

On peut donc affirmer qu’observer s’apprend, s’entretient et s’aiguise.

Apprenons alors à être attentifs à nos chevaux de manière neutre sans laisser nos émotions céder la place à notre œil juste, ce qui, je le sais, est difficile quand on adore autant nos compagnons quadrupèdes !



Droits d'auteur

Le texte et les photographies non légendées sont soumis à des droits d'auteur et chaque réutilisation nécessite une autorisation préalable de l'auteur.

La photographie des étalons est la propriété de Shelley Paulson, photographe équestre, qui a pris cette photo à Onaqui Mountain.


Bibliographie

Si vous désirez lire davantage sur les comportements chez les chevaux, je vous invite à feuilleter les ouvrages suivants, pour ne citer qu'eux :

  • Michel-Antoine Leblanc, Comment pensent les chevaux ?

  • Hélène Roche, Apprendre à observer les chevaux, dans les pas des scientifiques

  • Hélène Roche, Comportements et postures

  • Paul McGreevy, Equitation Science [en anglais]


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